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Accueil > A son sujet > Presse > Interview - 1964 - POSITIF n° 61, 62, 63 : L'érotisme au cinéma

Dans le cadre d'une enquête sur l'érotisme au cinéma dans le mensuel POSITIF, Edmond T. Gréville répond aux 7 questions posés à un ensemble de personnalités.

Question n°1 : Quel est le film le plus érotique que vous ayez vu ? Donnez vos raisons.

Il n'y a pas eu à proprement parler de films érotiques depuis Extase et Eroticon. Rien d'étonnant : Le MOT, en démystifiant l'image, à tué le pouvoir sensuel de cette dernière. En amour le VERBE est dangereux. Tout avec lui devient chanson de salle de garde. Depuis le " parlant ", quelques films ont cependant comporté des séquences d'érotisme. Mais en tant que film totalement érotique, je me vois hélas obligé de remonter fort loin et d'opter pour Extase (qui n'était pourtant qu'une tentative).
Ce qu'il faudrait c'est un film qui soit dans son ensemble aussi parfaitement érotogène que la scène du " bouche à bouche " dans La Femme au Corbeau de Borzage.

Question n°2 : Quel vous semble être l'exemple parfait de film non-érotique ? En vous limitant, bien entendu, aux films qui traitent de l'amour.

Les films " osés " d'un certain cinéma français participent plus du " nu Parisien " et de la polissonnerie que de l'érotisme. Ils finissent même par devenir exactement le contraire. Les Amants, de Louis MALLE, qui a dû sa réputation à une scène pornographique noyée dans un oiseux fatras fils-à-papresque du genre le plus pseudo, me semble le parfait exemple du remède-contre-l'amour.
Il est vrai que Madame Jeanne MOREAU, excellente comédienne paraît-il, a un physique Barbès-Rochechouart qui n'arrange rien.

Question n°3 : le cinéma a-t-il une influence sur votre vie érotique ?

Je n'ai jamais eu dans la vie que deux préoccupations suprêmes : le Cinéma et l'Amour. Pour moi les deux sont intimement liés. En amour, je suis essentiellement un " visuel " (j'allais dire voyeur !) Or " voyeurisme " et cinéma sont synonymes.

Question n°4 : Quelles sont les situations, scènes, attitudes ou objets qui, au cinéma, vous paraissent avoir la plus grande importance érotique ?

L'érotisme est essence cérébrale. Il participe de l'imagination et ne peut donc naître que d'images-clés et de symboles. Suggérer, évoquer, fragmenter, en quelques sorte allumer le spectateur sera toujours plus provocant que lui montrer des scènes libertines.
Un gros plan de pied, de main ; l'ombre d'un ongle pointu rayant une épaule ; le pli d'une étoffe tendue sur un buste ; le vent tourmentant une mèche folle sur une nuque moite ; deux nénuphars que le courant pousse l'un vers l'autre sur le reflet inversé d'une fille ; des morceaux de corps réfléchis au hasard dans un miroir incliné et fendu ; une bouche entr'ouverte sur des dents humides, comptent beaucoup plus pour moi que l'imagerie usuelle de mes confrères spécialisés dans la literie et la sensualité de bazar…
La jambe -balancier de Myriam Hopkins dans le Jekyll et Hyde de Rouben Mamoulian ; les cuisses de Marilyn Monroe s'écartant doucement sous le drap soyeux de Niagara, de Hataway ; le geste de la nymphomane pour dégrafer sa robe dans Passions Dangereuses de Cukor ; le repas-duo de Tom Jones ; voila l'Erotisme au cinéma…

Question n°5 : Quelles est l'actrice (ou l'acteur) qui est pour vous l'érotisme ? Pourquoi ?

De Barbara Standwyck à Marilyn Monroe , de Joan Crawford à Stella Stevens, en passant par Norma Talmadge et autres Shirley Mac Laine,_ sans oublier la délirante Frances Farmer, morte de sensualité et dont l'image et la chanson de Come and get it me hantent, le cinéma américain m'a offert en quarante ans au moins une cinquantaine de femmes dont j'ai été fou ! Comment cristalliser dans un seul visage, une seule chaire la vedette la plus érotique ?
Il me faudrait faire le portrait-robot de toutes les filles d'Hollywood qui, depuis mon enfance, incendie mes rêves.

Question n°6 : Quel est, parmis ceux qui sont censé incarner l'érotisme à l'écran l'acteur, (ou l'actrice) qui en est pour vous la négation ? Pourquoi ?

A part Gina Manes (jadis) et Magalie Noël (aujourd'hui) aucune actrice française ne m'a jamais procuré à l'écran d'émotion sensuelle. Je pourrais donc citer beaucoup de noms pour répondre à cette question n°6.
Je voudrais ajouter qu'avec une constance dont on me saura gré, de La rue sans Joie à Ninochka, je n'ai jamais pu souffrir Madame Greta Garbo.
Ce gros meuble de l'époque Métro-Goldwyn, avec ses pieds de fantassin et son œil je-regarde-passer-les-trains, a toujours représenté pour moi le comble de l'anti-érotisme.

Question n°7 : Quelle œuvre érotique aimeriez-vous voir porter (ou porter vous-même), à l'écran ? Avec qui ?

J'ai été élevé à coups de bible. J'en ai gardé un goût prononcé pour le Cantique des Cantiques : je voudrais en tirer un film sans dialogue où les images chanteraient comme Salomon le corps de la femme, sa peau, sa poitrine, ses reins, sa bouche, son ventre, la toute puissance de sa chair, source de toutes les damnations et de toutes le mystiques…Et ce serait si amusant de faire interdire par la censure un film inspiré par les Saintes Ecritures !

Edmond T. Gréville (1906-66) - Conception et création : Sébastien JOUVE
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